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Imam Iquioussen en fuite : le mandat d'arrêt européen peut-il vraiment aboutir ?

Publié le 6 septembre 2022 à 18h38

Source : JT 20h Semaine

L'avocate d'Hassan Iquioussen conteste la légalité du mandat d'arrêt européen émis vendredi dernier à l'encontre de son client.
Gérald Darmanin rétorque que l'imam marocain "sera interpellé" s'il est retrouvé chez nos voisins.
Selon les juristes interrogés, ce mandat pourrait ne pas avoir de fondement juridique.

Le dossier entier est émaillé de rebondissements. Depuis la délivrance d'un arrêté d'expulsion à l'encontre de l'imam Hassan Iquioussen, annoncée le 28 juillet par Gérald Darmanin, la volonté du ministre de l'Intérieur ne cesse d'être contrariée. Après avoir essuyé un revers administratif, le locataire de la place Beauvau doit faire face à la fuite du "prêcheur des cités". "Manifestement en Belgique", selon le ministre, il est visé par un mandat d'arrêt européen depuis le 2 septembre. 

Sauf que l'avocate du conférencier conteste la légalité de la procédure. D'après Me Lucie Simon, elle se fonde sur une infraction "qui n'est pas constituée". Le ministre de l'Intérieur, quant à lui, persiste et signe. "S'il est à l'étranger et notamment chez nos voisins, la coopération judiciaire fera qu'il sera interpellé", a asséné Gérald Darmanin vendredi soir. Alors, cette procédure est-elle crédible ?

L'infraction ne "tient pas"

Pour comprendre la problématique, il faut d'abord rappeler que ce mécanisme de coopération entre les 27 pays membres de l'Union européenne (UE) permet aux autorités judiciaires d'un État de demander à leurs homologues étrangers la remise d'une personne afin qu'elle soit jugée pour la commission d'une infraction ou qu'elle exécute une peine à laquelle elle a déjà été condamnée pour la commission d'une infraction. En somme, comme nous le rappelle Serge Slama, professeur de droit public à l'Université Grenoble-Alpes, pour qu'il y ait mandat d'arrêt européen, "il faut forcément une infraction". 

Ici, quelle est-elle ? Le mandat d'arrêt du juge d'instruction de Valenciennes a été délivré pour "soustraction à l'exécution d'une décision d'éloignement". Sauf que cette infraction pose ici"deux problèmes distincts", analyse notre interlocuteur. Premièrement, si l'imam marocain a fait l'objet d'un arrêté d'expulsion, il aurait depuis quitté le territoire français par lui-même, a priori sans revenir. "S'il est réellement parti en Belgique, il ne s'est pas soustrait à l'expulsion, mais uniquement à l'arrêté de destination vers le Maroc", note le professeur de droit public. "Donc, selon mon analyse, s'il est à l'étranger, au regard du droit français, il n'est pas en infraction dès lors qu'il a exécuté la mesure". 

Une position partagée par son confrère Thomas Herran. Coresponsable du Master droit pénal européen et international à l'Université de Bordeaux, il rappelle sur un blog juridique qu'à ses yeux, cette infraction "peut être retenue exclusivement pour les étrangers qui resteraient sur le territoire français et refuseraient de le quitter". Ici, le conférencier a quitté le territoire français, et donc exécuté "de lui-même" l'arrêté préfectoral. 

Deuxièmement, pour qu'un mandat d'arrêt européen soit valable, l'État qui doit l'exécuter peut exiger l'existence d'une "double incrimination", comme le souligne le professeur de droit public. C'est-à-dire que cette infraction doit exister en Belgique. Or, toujours selon Thomas Herran, le droit belge "ne semble pas réprimer en tant que tel le fait de ne pas respecter une décision d’expulsion". "En d'autres termes, l'infraction reprochée en France à Hassan Iquioussen ne serait pas exactement la même que celle incriminée en Belgique", conclut le maitre de conférences. Les juridictions belges pourraient dès lors "considérer que la condition de la double incrimination n'est pas respectée". 

En résumé, les juristes interrogés estiment que l'infraction reprochée à l'imam marocain "n'est pas fondée". Et doutent que ce délit existe en Belgique. Cette procédure relèverait donc plutôt du seul effet d'annonce. Ou, pour reprendre l'analogie utilisée par une source proche du dossier auprès de l'AFP, d'"une acrobatie juridique pour judiciariser une décision administrative".

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Felicia SIDERIS

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