"J'ai aidé des gens un peu partout en France" : ces hommes qui proposent illégalement des dons de sperme

par La rédaction de TF1info | Reportage : Maurine Bajac, Quentin Trigodet, Quentin Danjou
Publié le 20 avril 2024 à 11h12

Source : JT 20h WE

Face au manque de donneurs, les délais d'attente pour avoir recours à la PMA s'allongent en France.
Résultat, de nombreux couples cherchent des donneurs sur les réseaux sociaux ou à l'étranger.
Des pratiques illégales et risquées sur lesquelles TF1 a enquêté.

C'est parfois leur dernier espoir d'avoir un enfant. Alors que l'infertilité concerne de plus de plus de personnes, un nombre grandissant de couples ont recours en France à la procréation médicalement assistée, aussi accessible aux couples de femmes ou aux femmes seules depuis la loi de bioéthique du 2 août 2021. Mais face à l'afflux de dossiers, les délais d'attente se sont considérablement allongés, s'établissant à huit à dix mois en moyenne. Certaines femmes choisissent alors de chercher un donneur sur les réseaux sociaux. 

"On s'est dit qu'on trouvait de tout sur internet, donc par curiosité, on a tapé 'donneur naturel', et on est ressortis avec pleins de pages Facebook, certaines demandent une présentation donc c'est ce qu'on a fait", explique l'une d'entre elles à TF1. "On a reçu des messages privés très rapidement, on peut dire une bonne dizaine". 

Toutes les propositions faites via les réseaux sociaux sont illégales et rémunérées, contrairement aux dons de sperme légaux organisés à l'hôpital gratuitement. Mais pour ceux qui souhaitent devenir parents, c'est l'occasion d'y parvenir plus rapidement. "On a conscience que c'est illégal, mais nous, cet enfant, on le désire", confie la demandeuse. "Je n'ai pas envie d'attendre deux ou trois ans avant d'avoir un enfant", poursuit son compagnon.

"Je ne fais jamais plus de trois dons par département"

Une équipe de TF1 a infiltré des groupes Facebook de donneurs de sperme avec un faux profil. L'un d'entre eux compte 6000 membres, issus de tous les milieux sociaux. Chacun pose ses conditions au don, certains plaident pour une insémination à la pipette, d'autres exigent un rapport sexuel. En quelques minutes, nous avons reçu plusieurs propositions. "Je suis donneur depuis sept ans. En moyenne, je mets en route deux grossesses par an et je me limite, pas plus", écrit un donneur.

Un autre s'affiche en photo avec sa compagne. Au moment de le questionner, il précise : "justement, je tiens à être discret dans cette démarche, elle n'est pas au courant. C'est la seule chose que je demande si vous êtes d'accord". Un troisième accepte un rendez-vous téléphonique. Âgé de 33 ans, ce célibataire fait des dons depuis plus de 13 ans. "En région parisienne, il y a eu une douzaine de naissances. J'ai aidé des gens un peu partout en France. En fait, c'est réparti vraiment dans les régions et surtout, je ne fais jamais plus de trois dons par département" assure-t-il avant de préciser son profil : "Je suis en très bonne santé, je suis sportif, je vais à la salle 2-3 fois par semaine, j'ai fait des études universitaires, donc j'ai fait des études de droit".

Le droit justement, ce donneur le connaît très bien. "Si on s'en tient à la loi, effectivement, il y a un délit de don des produits du corps, concrètement, c'est quasi impossible de caractériser cette infraction. Je pense qu'il n'y a aucun risque qu'un magistrat prennent le temps de s'intéresser à ça", estime-t-il.

Choisir son donneur sur catalogue à l'étranger

Au-delà de l'illégalité de cette pratique et de son éthique, les professionnels alertent sur le risque sanitaire. "En France, la loi est là pour protéger les personnes en matière de dons de sperme" martèle Claire de Vienne, médecin référente en PMA à l'agence de biomédecine. "Pour éviter le risque d'attraper une maladie transmissible, et d'avoir une maladie génétique qui se transmet à son enfant, il n'y a pas d'autre choix que de faire ça de façon médicalisée par des centres qui sont spécifiquement autorisés"

Les critères de dons y sont très sélectifs. Et le nombre de donneurs, qui s'élève à 800 par an, est insuffisant par rapport à la demande, qui s'élève, elle, à plus de 30.000 demandes. "800 donneurs par an, ça ne suffit pas, il en faudrait au moins 2000", ajoute Claire de Vienne. 

Pour bénéficier d'un don de façon encadrée, mais plus rapidement qu'en France, certaines femmes décident d'acheter du sperme à l'étranger, et notamment au Danemark où se trouve la plus grande banque de sperme au monde. Les acheteurs peuvent choisir leur donneur sur un catalogue. Cette pratique peut coûter jusqu'à 1200 euros par don, et les donneurs sont rémunérés. "Si les femmes doivent attendre un ou deux ans avant de trouver un donneur, c'est peut-être une bonne option, peut-être que les pays pourraient acheter directement du sperme au Danemark, ça ne devrait pas être illégal", avance un donneur marié de 40 ans. 

Une paternité "contestée à tout moment"

Après avoir été collecté, le sperme est testé, congelé puis empaqueté. Si ramener ces dons en France est illégal, nous découvrons des adresses françaises de gynécologues parmi les colis prêts à partir de cette entreprise. Ces praticiens inséminent illégalement leurs patientes. "C'est un acte d'aide à la liberté des femmes. C'est de l'ordre de quelques dizaines, 80, 100 femmes par an, pas plus. Il me semble que le risque encouru aujourd'hui, il est quand même moindre, il serait surtout lié à des dénonciations. Je ne crois pas que ce soit aujourd'hui un grand risque", confie un gynécologue qui a accepté de témoigner.

Il y a peu de dénonciations et donc de condamnations, mais cette pratique n'est pas sans risque. "Quand il y a un donneur qui va donner son sperme à une famille, il y a un papa d'intention qui va lui se reconnaitre papa de l'enfant, sa paternité peut être contestée à tout moment, c'est une situation qui est compliquée, humainement compliquée, on surfe sur la détresse humaine, mais cette situation peut amener d'autres détresses", alerte Sonia Kemel, avocate pénaliste, spécialisée en droit des personnes.


La rédaction de TF1info | Reportage : Maurine Bajac, Quentin Trigodet, Quentin Danjou

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